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  • educ-emoi76

Crise des vocations : Vers un diplôme unique du travail social ?

Dernière mise à jour : 21 oct. 2022


A chaque crise structurelle son lot de propositions plus ou moins pertinentes, fruits d’une analyse sensément éclairée d’experts aussi proches du terrain que peut l’être un supporter devant son écran de télévision.


Ainsi donc, l’identité de l'éducateur, forte de l’histoire de toute une profession, vivrait là ses derniers instants, victime d’une obsolescence inéluctable, à l’instar de la VHS en son temps. Telle une injonction divine, le travailleur social 3.0 est sommé de se réinventer pour répondre aux nouveaux problèmes posés par les évolutions sociétales et tenter de circonscrire la désertion des métiers de la relation d’aide.

Puisque la fusion et l’uniformisation semblent être dans l’air du temps, qu’ils s’agissent des associations ou des conventions collectives - et que cela ne soulève par ailleurs aucune espèce de résistance farouche - pourquoi ne pas l’appliquer aux diplômes du travail social se dirait-on en haut lieu ?


Quelle riche idée ! Si ce n’est que pour espérer avoir un positionnement un tant soit peu éclairé sur la question, encore faudrait-il comprendre l’analyse qui sous-tend cette préconisation chargée de répondre aux enjeux actuels et futurs du secteur.


Si tout le monde s’accorde à reconnaitre que le travail social souffre de plus en plus d’un manque manifeste d’attractivité et que les difficultés grandissantes de formation et de recrutement posent un problème structurel majeur pour nos institutions dans les missions qui leurs sont dévolues, les raisons identifiées et moyens pour y répondre font moins consensus dans la mesure où certains enjeux politiques prédominent et font nécessairement abstraction des solutions les plus évidentes, puisqu’elles sont souvent les plus onéreuses également. « Le nerf de la guerre » comme le dit l’adage moyenâgeux.


Parmi les arguments avancés en faveur d’une réforme de la formation, il apparaitrait que les dénominations « éducateur » et « moniteur » ne seraient plus en phase avec leur temps, notre société inclusive aspirant à plus d’horizontalité et d’autodétermination. En effet, comment parler de « pouvoir d’agir » de la personne quand celle-ci se trouve éduquée ou « monitorée », avec donc l’idée d’un manque de transversalité des savoirs supposés ?


De ces métiers émaneraient, qui plus est, un imaginaire négatif, lié tant aux dérives du secteur qu’à la marginalité de ses bénéficiaires. Il est certain que les documentaires racoleurs qui se succèdent inlassablement dans les médias de façon tout à fait partiale, n’aide en rien à la revalorisation de notre fonction dans l’inconscient collectif.


Il s’agirait donc de positiver ces métiers du lien social en tentant de leur accoler artificiellement une image plus flatteuse et moderne, celle de l’inclusivité.

Soit, si d’un point de vue purement lexical la chose s’entend, et qu’un remaniement pourrait en soi être envisagé, pousser la poussière sous le tapis n’a cependant jamais rendu une maison fondamentalement plus propre. Mais il est vrai que dans le social, la vitrine a désormais parfois plus d’importance aux yeux de nos dirigeants que le magasin lui-même, représentant un outil de flagornerie politique plus aisé.


A la manière du Rassemblement National ou de Renaissance, changer de dénomination ne trompera toutefois pas longtemps sur la réalité de la marchandise, risquant une désaffection encore plus importante en cours du cursus, qui ne fera pas avancer davantage nos problèmes d’attractivité.


Ce postulat d’évolutivité nécessaire de la profession amène à mon sens une autre question, celle du non-questionnement du virage inclusif pris par la société. Bien mal venu d’ailleurs celui qui viendrait remettre en cause cette nouvelle posture progressiste sanctuarisée. Idéologie quand tu nous tiens !


Cette dynamique sociétale se doit pourtant d’être interrogée, non pas tant d’un point de vue philosophique dans l’absolu, mais au moins dans son application systématisée pour le moins biaisée. Sous couvert de bonnes intentions, n’est-on pas tout simplement en train de légitimer les coupes budgétaires recherchées vis-à-vis de systèmes de prises en charge spécialisées jugées bien trop dispendieux et dont la saturation semble insoluble en dehors d’investissements massifs sur le plan logistique et humain ?


Or, force est de constater que les démarches d’inclusion telles qu’elles sont pensées et construites actuellement ne peuvent s’avérer satisfaisantes. Entre moyens bien trop limités, pénurie et manque de formation des personnels accompagnants, dispositifs de santé de droit commun en sursaturation, n’est-on nous pas en train de générer davantage de violence à l’endroit des personnes concernées, aveuglés par nos bonnes intentions transcendées en mantra ?


Autre argument et non des moindres, le panel pléthorique de formations dans l’aide à la personne amèneraient trop de complexité et donc une difficile identification et lisibilité de ces métiers et des voies de formation pour y parvenir…


Celles-ci, au nombre de treize désormais, rendrait donc l’affaire confuse, occasionnant plus de risques d’erreurs de parcours. On dénombre ainsi :


4 formations accessibles sans le BAC :

- Diplôme d’Etat d’Accompagnement Educatif et Social (DEAES), fusion des DE d’AVS et AMP

- Diplôme d’Etat d’Assistant Familial (DEAF)

- Diplôme d’Etat de Moniteur Educateur (DEME)

- Diplôme d’Etat de Technicien de l’Intervention Sociale et Familiale (DETISF)


4 formations accessibles avec le BAC :


- Diplôme d’Etat d’Educateur Technique Spécialisé (DEETS)

- Diplôme d’Etat d’Educateur de Jeunes Enfants (DEEJE)

- Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé (DEES)

- Diplôme d’Etat d’Assistant de Service Social (DEASS)


5 formations requérant un niveau d’études supérieures :


- Diplôme d’Etat de Conseiller en Economie Sociale Familiale (DECESF)

- Diplôme d’Etat de Médiateur Familial (DEMF)

- Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention Sociale (CAFERUIS)

- Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale (DEIS)

- Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Directeur d’Etablissement ou de Service d’intervention sociale (CAFDES)


A la manière de la formation en médecine, pourrait donc se structurer un nouveau diplôme de travailleur social, disposant d’un tronc commun, suivi d’une orientation vers les sous-spécialités de la relation d’aide, après un certain nombre d’heure de formation générale.


Se pose cependant la question des critères d’évaluation et d’exigence pour l’entrée en formation, au regard des différences de niveau requis pour chaque spécialité. Ouvrir au plus grand nombre sans concours et niveau requis, au risque de perdre le nécessaire aspect filtrant que réclament ces formations non sans incidences sur le plan personnel ? Au risque de constater une hausse encore plus flagrante des désaffections en cours de cursus ? Ou garder une certaine exigence de sélection, au risque de manquer de candidats dans des formations jusqu’à présent plus accessibles ?


Que penser également d’une formation générale qui permettrait, en poursuivant le nombre d’année d’études requis, d’accéder directement à des postes d’encadrements dans les établissements sans jamais avoir réellement expérimenté le travail de terrain ? Comment comprendre la complexité du travail social et de ses réponses en étant totalement détaché de sa pratique ?

Bien que ce glissement soit déjà bien à l’œuvre, un nombre grandissant de cadres recrutés depuis quelques années ayant une formation managériale sans aucune expérience préalable du secteur social, doit-on cependant cautionner ce changement d’approche en l’organisant volontairement dans le cadre de notre formation ?


S’il y a fort à craindre que ce désir de réinvention des métiers de la relation d’aide par la réforme des diplômes vienne finalement plutôt appauvrir la diversité des regards et des approches professionnelles, l’uniformisation et la recherche de simplicité étant souvent l’ennemi du bien, ne serait-ce pas non plus « l’arbre qui cache la forêt » ?


Un bel os à ronger pour éviter de s’attaquer aux réels problèmes qui endiguent petit à petit le travail social depuis trois décennies…


Dénoncé par l’ensemble de la profession depuis des années, le délitement organisé du secteur depuis qu’il est entré dans une logique purement marchande est pourtant la principale cause de l’usure de ses agents, de leur fuite comme du renoncement des futurs recrues, décontenancées par les écarts considérables entre conception et pratique, entre formation et terrain, entre éthique et réalité.


Certes, les bas revenus et la précarisation qui en découle ne participent aucunement à redorer le blason de métiers qu’on aime davantage pour l’idée qu’on s’en fait, que pour ce que l’on peut véritablement en faire…

Mais il est aussi facile de concevoir que les augmentations de salaires conséquentes espérées et réclamées de longue date, si elles ne sont pas à remettre en question, ne viendront cependant pas compenser la perte de sens dans nos pratiques.


Cessons donc de tenter de résoudre ces problèmes majeurs par une intellectualisation à outrance des pseudos facteurs de causalité, quand la seule raison de toute cette débâcle est à la fois la plus évidente et la plus contraignante. Nul n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir, nul n’est plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, le reste n’est que pure diversion et tergiversation.


Si j’étais un brin provocateur, je dirais que la conception d’un diplôme unique du travail social est à l’aide à la personne ce que l’homéopathie est au soin médical : un effet placebo peu concluant.

Camille HAMEL

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