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  • educ-emoi76

L’inclusion, avancée sociale ou fausse bonne idée ?

Dernière mise à jour : 2 févr. 2023


Au rang des innovations récentes, l’inclusion semble aujourd’hui le seul impératif social indiscutable, dans la mesure où sa remise en question idéologique soulève systématiquement l’opprobre bien-pensante, sans autre forme de réflexion.


Car après des années d’intégration, le mot d’ordre est désormais d’inclure !


Intégrer, inclure, des mots qu’on pourrait penser lexicalement proches mais dont la substitution n’est pas anodine. La démarche sous-tendue dans ces deux concepts se différencie en fait sur bien des aspects. Faisons en outre l’impasse sur l’origine du mot inclusion à la signification réjouissante d’« enfermement ».


Mais comment en parler sans aborder en préambule la dichotomie égalité/différence, et la question du handicap.


Longtemps mis à l’écart, la personne vulnérable, qu’elle soit en situation de handicap physique, mental, de vieillesse ou de maladie, était avant tout l’affaire de la famille ou des hospices religieuses. Délaissés, cette responsabilité morale de s’occuper des « démunis et nécessiteux » revenait jusque-là aux ecclésiastiques. Mais les conflits armés lors de la première guerre mondiale ayant contribué à générer un afflux massif d’estropiés vers un retour à la vie civile, il relevait donc désormais de la responsabilité de l’Etat de venir en aide à ses citoyens, en réparation de leurs sacrifices corporels. Par ailleurs, le citoyen étant avant tout une force de travail pour son pays, que faire de toutes ces personnes diminuées physiquement, qui ne pouvaient plus contribuer au PIB, devenant alors une charge pour la société ?


Refusant l’octroi d’une simple pension, assimilée à une forme d’assistance dégradante, les anciens combattants, réunis en association, pressèrent pour obtenir en reconnaissance une réelle intégration sociale. La question de la réinsertion professionnelle de tous ces mutilés de guerre s’est alors posée.


Chemin faisant, cette évolution des mentalités s’est, entre autres, légalement formalisée dans la loi du 11 février 2005. Enonçant le principe du droit à la compensation du handicap et l’obligation de solidarité de l’ensemble de la société, ce texte a inclus dans le même temps une nouvelle définition du handicap. Cette législation défendant le principe de non-discrimination à l’embauche, de droit à l’école dans l’établissement le plus proche du domicile de l’enfant, a également réaffirmé le droit à une accessibilité généralisée, permettant aux personnes d’exercer leur participation pleine et entière à la vie sociale.


De cette loi découle quelque part toute la logique inclusive récente. Une bien belle idée que l’égalité de tous face à l’enseignement, sans mise à l’écart, la diversité devenant la règle assumée! Ce n’est plus à l’individu « différent » de s’adapter à un système dit « normal », mais à ce système normo-pensant de s’adapter aux différences de l’autre.


Sous l’égide de collectifs s’institue de facto que la personne présentant un handicap ne doit plus être pensée comme une charge à gérer par la société, mais comme un être de droit, au même titre que les personnes « valides ». Logique, certes.


Considérant pleinement cette évolution, l’intentionnalité des législateurs apparaît donc fort louable, comme souvent par ailleurs. Tout du moins eut-il fallu que cette philosophie soit pertinemment transposable à tous les cas de figures et que l’application légale soit en cohérence avec les moyens mis à disposition, au risque de s’assimiler à de la « poudre de perlimpinpin » populiste, bien souvent génératrice de mouvements de contestation populaires.


A voir la propension des français à manifester à chaque tentative de réforme, soit ces derniers disposent d’un gène de l’insatisfaction permanente, soit ils ne sont pas dupes des intentions faussement généreuses de leurs élus.


Car dans cette mouvance inclusive, sur le plan de l’éducation, il revient en fait aux enseignants, non formés à cet égard, et sans plus de moyens véritables, de prendre sur leurs épaules la charge lourde d’une éducation spéciale, jusque-là déléguée à des entités spécifiques. Comme s’ils n’avaient pas déjà suffisamment de « casquettes » à gérer…

Aux dispositifs PAP signés mais appliqués « au p’tit bonheur la chance », en passant par le manque conséquent d’AVS et de leur formation insuffisante pour accompagner des enfants présentant des Troubles Neuro-Développementaux parfois conséquents, ce système d’inclusion sensé favoriser l’évolution des enfants, sans aucune discrimination, ne génère-t-il pas plus de souffrances psychiques qu’il n’est sensé en soigner ?


Nombreux sont les parents et enseignants à faire part de leur désarroi face à l’accentuation de la souffrance de ces enfants, dans ces nouvelles recommandations bien-pensantes à rester dans un environnement classique, alors que les soutiens restent foncièrement inappropriés. Sans compter que les dispositifs de droit commun sont sursaturés par ailleurs. Trouver un orthophoniste ou un pédopsychiatre disponible relève parfois du miracle en fonction des régions, plus ou moins touchées par la désertification médicale. Les parcours de soins n’en deviennent que plus segmentés et chaotiques.


Finalement, l’inclusion reviendrait-elle à signifier dans une vision cyniquement égalitaire : « Débrouillez-vous comme tout le monde ! » ? Les personnes plus vulnérables doivent-elles seulement se contenter de la place qu’on veut bien leur concéder auprès de nous, en devant s’adapter par elles-mêmes ?


Certes, bien qu’intégratifs à la société, les institutions spécifiques (IME/IMP/IMPRO/ITEP…etc.) revêtent dans leur conception même un caractère discriminant, dans le sens où elles séparent un groupe d’un autre… Mais peut-on pour autant taxer leur démarche de néfaste à l’égard des bénéficiaires alors même qu’elles offrent des accompagnements adaptés à leurs entraves physiques et/ou psychiques.


L’inclusion ne doit pas être une réponse alternative et grandiloquente face à la nécessité coûteuse de moyens supplémentaires dans le champ de l’éducation spéciale, leitmotiv d’une société en perdition sur le plan humain, où tout n’est plus que spéculation potentielle.

L’inclusion semble en tout cas vouloir répondre aux listes d’attentes à rallonge des IME, qui découlent tant de la saturation des foyers d’hébergement pour adulte handicapé que de l’augmentation des troubles de toutes sortes dans nos sociétés élitistes et méritocratiques qui prônent la volonté, l’effort et la résilience comme seules valeurs de vie honorables.


A travers l’inclusion, le concept d’égalité tendrait-il finalement à se confondre avec l’idée d’équité ? Ce désir confère en effet de plus en plus à l’idéologie. Semblable à un leurre, il tend à vouloir gommer nos différences, tout ce qui est constitutif de notre singularité et donc de notre « être ».

Réfléchir à la différence devient même risquée, voire impossible, tant l’argument discriminatoire systématique vient couper toutes tentatives d’élaboration à contre-courant et donc tout enrichissement du débat.


L’avènement d’une forme de pensée unique est d’autant plus inquiétant qu’elle touche la plupart des sujets de société (violences conjugales, féminisme, immigration, genre…etc.). L’émotion tendant à se substituer à la raison, la victime et le coupable ne s’envisagent plus que dans une binarité réductrice, alimentant paradoxalement le rejet de l’autre. Cette dyade se retrouve également dans l’image médiatique de la personne handicapée, qu’on suggère ou misérable ou héroïque, tant qu’elle suscite de l’émotion.


A tout penser dans un syndrome d’égalitarisme aigu, nous nous égarons. Car s’agissant des discriminations morales, les différences ethniques, de pigmentation cutanée, de genre, d’orientation sexuelle (etc.) ne nécessitent pas par nature d’un accompagnement spécial. Ces différences ne sont en effet pas constitutives d’un problème de capacité ordinaire, contrairement au handicap et aux Troubles Neuro-Développementaux.

Ces derniers items nécessitent une approche spécifique, plus à même de répondre aux problèmes qu’ils posent. Ces réponses, parce qu’elles se doivent d’être particulières, adaptatives, ne peuvent donc faire l’économie d’un budget, d’un outillage matériel ou pédagogique, et d’une formation qualifiante intrinsèque.


Si l’inclusion s’avère une idée intéressante, son application systématisée au regard du droit tend paradoxalement à nier toute singularité de l’autre. Il faut dire que l’assimilation (terme renvoyant au colonialisme) et l’intégration (provoquant une certaine discrimination systémique) n’ont pas non plus brillées par leur réussite.

Plus encore, à l’aune de sa mise en application, l’inclusion semble davantage répondre à une nécessaire austérité budgétaire qu’à une meilleure considération des personnes.


Mais peut-on encore lutter contre cette marche en avant d’une société toujours plus inclusive, entre autres concepts philosophico-politiques, quand il apparaît que la modélisation du champ social de demain appartient désormais aux législateurs, aux politiciens et aux lobbies plutôt qu’aux praticiens eux-mêmes, réduits à n’être plus que des exécutants ?


Vivre ensemble dans le respect et l’apprentissage des différences de chacun est encore une démarche balbutiante qu’il nous faut toujours plus élaborer et expérimenter. Mais dans le compromis, pas dans la compromission !

L’inclusion semble ici être une impasse de plus dans la mesure où elle n’implique en rien notre nécessité à nous métamorphoser également pour accueillir l’angoissante différence, en sortant de nos cases normatives bien définies et rassurantes.


Camille Hamel

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