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De la quête à l’éti-quête identitaire : quand l’intime se politise.

  • educ-emoi76
  • 3 juil. 2021
  • 14 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 juil. 2021


En cette journée internationale des droits des femmes, qui rappelle chaque 8 mars avec force les disparités encore immenses entre elles et leur pendant masculin, comment ne pas aborder la question de notre identité, de ses bouleversements structurels, et de son intrication de plus en plus profonde dans l’appareil politique.


Qui-suis-je ? Question incontournable qui a toujours eu plus maille à partir avec la nécessaire introspection qu’elle requiert. Depuis fort longtemps, bien que le thème de l’identité soit au cœur des préoccupations de l’être humain, objet d’étude métaphysique sans fin, cette recherche ne se fait cependant pas sans heurts. Se définir en tant que personne ne va pas de soi et fait souvent l’objet d’une quête profonde et tortueuse.

L’identité pourrait se traduire par le caractère permanent et fondamental de quelqu'un, dans ce qui fait son individualité, sa singularité, à travers la transmission de valeurs entre autres. En philosophie, l'identité personnelle désigne le fait pour un sujet d'être un individu à la fois distinct de tous les autres (unicité ou identité synchronique), tout en demeurant le même à travers le temps (identité diachronique).


Nos identités, sortes de « graals » modernes à l’aune de la perte de repères et de sens que génèrent de plus en plus nos sociétés mondialisées et déritualisées, se redéfinissent régulièrement au gré des mutations sociales, entrainant parfois une certaine confusion. Comment nous concevons-nous en tant qu’homme ou femme aujourd’hui, en tant que parent, conjoint, travailleur, citoyen, voire même être humain, dans une société culturelle donnée ?

Les rôles qui nous incombent évoluent au gré de la fluctuation des normes sociales et des courants de pensée dominants, générant des déstabilisations plus ou moins fortes.


Cette quête identitaire est inéluctable dans la mesure où elle participe à donner un sens à notre vie. Elle peut s’avérer éprouvante, tant du fait de la complexité à la définir précisément que de ce que nous sommes prêts à accepter de nous et de notre héritage familial et culturel.


Les formations du travail social appuient d’ailleurs sur l’importance de cette question. En effet, pour aider l’autre, se connaitre soi-même s’avère judicieux, dans la mesure où être amené à côtoyer quotidiennement les tourments de la vie des autres, résonne en nous. Ne pouvant nous soustraire à notre propre subjectivité, il apparait plutôt judicieux d’appréhender la façon dont les traumas de l’autre influent sur notre capacité à conserver une juste distance professionnelle et à nous défaire de nos jugements moraux.


Mais à ce concept d’identité personnelle se rajoute également la notion d’identité de groupe, ou d’identité sociale, dans laquelle chacun ressent le besoin de se reconnaitre, par une adhésion de l’esprit, voire une participation physique à des groupes sociaux. Ces derniers se définissent comme des ensembles d'individus, qui se reconnaissent entre eux et sont reconnus par les personnes qui y sont extérieures. Leurs membres sont ainsi unis par des liens, des interactions et un sentiment d'appartenance.


Ces identités sociales peuvent se fonder sur des caractéristiques physiques, des traits de comportement, des engagements personnels, des activités professionnelles, des vocations ou des affiliations (hobbies, passions), souvent perçus à l’externe dans une image stéréotypée, faite d’idées préconçues.


Si les groupes sociaux existent depuis aussi longtemps que les individus font société, et qu’ils ont toujours été vecteurs de mutations sociales par la force de leur cohésion et leur capacité à faire entendre leurs revendications par le nombre, depuis quelques temps, des collectifs semblent émerger de toute part pour contester et lutter contre l’ordre établi. Les « gilets jaunes », le mouvement « Black Lives Matter », la « Manif pour tous », #MeToo, et j’en oublie assurément… Autant de groupes sociaux médiatiquement reconnus, dont la formation s’est organisée spontanément dans le désir de répondre aux injustices dont les membres se sentaient victimes.


Il y a quelques temps, un collègue me faisait justement remarquer l’essor étonnant de ce besoin de reconnaissance corporatiste dans la sphère médiatique de masse. Serait-ce là une recherche collective de ces fameuses quinze minutes de gloire professées par Andy Warhol, chaque mouvement chassant inévitablement le précédent dans l’attention du public ?


A travers la crise sanitaire émergent ainsi à tour de rôle ceux que l’on tient à qualifier de héros du quotidien, mot honorifique astucieux pour tenter de dissimuler le mépris que l’on fait de leur condition le reste du temps. Après le corps infirmier, les aides à domicile, les travailleurs sociaux, voire tous les autres métiers « ingrats » dont on semble redécouvrir l’indispensable nécessité depuis un an, un article récent des « Actualités Sociales Hebdomadaires » vient cette fois mettre en exergue « l’usager », comme autre grand oublié de la crise, malgré ce qu’il aurait eu à affronter d’héroïque.


Si l’intention n’est pas de remettre en question le fond de ce qui est démontré, tout un chacun ayant effectivement eu à composer difficilement avec ce nouveau contexte de vie, il est intéressant d’observer cette forme de surenchère du plus spolié. Qu’est ce que cette propension à être reconnu, sortir de l’anonymat, dans une sorte de quête identitaire collective, vient dire de nos failles narcissiques, voire de nos difficultés à nous penser comme un peuple uni ?

Alors que Jacques Chirac dessinait durant les présidentielles de 1995 la notion de fracture sociale, force est de constater que notre société semble désormais bien morcelée, chaque groupe cherchant frénétiquement à se prévaloir de son existence.


Cette frénésie identitaire pourrait-elle s’expliquer par la surabondance de l’image dans nos vies? Les évolutions technologiques de ces quinze dernières années ayant bâti une société du paraître, transposant ainsi le mythe de narcisse dans une modernité selfiesque sans limites, il n’en fallait pas plus pour que l’identité, objet de quête personnel, mais également étendard idéologique et politique, occupe de plus en plus l’espace médiatique.


Grâce à Internet, les réseaux sociaux deviennent une sorte d'arène médiatique où s’expriment toutes les opinions, propagées à une vitesse phénoménale par la viralité de l’image numérique dématérialisée. Là où une réflexion sociétale s’impose nécessairement au regard des revendications portées par certains groupes sociaux, toujours plus épris d’égalité, la volonté appuyée de « faire bouger les lignes » entrainent des postures de plus en plus militantes et idéologiques, qui tendent à annihiler tout débat et invalider l’idée même de tolérance.


Alors que l’inclusivité devait être le maître-mot, cette radicalité des positions alimente a contrario les divisions, générant une crispation autour de ces sujets, qui ne tient pas qu’à une pseudo intolérance de ses détracteurs. Car dans une forme de raccourci intellectuel, remettre en question ce qui apparait comme des évidences vient réduire celui qui ose réfléchir au statut de réactionnaire décadent. Argument ô combien simpliste pour légitimer un prompt désir de changement qui ne saurait souffrir d’aucune contradiction, puisqu’il est porté par une discrimination, source de souffrance.


Semble ainsi se développer une culture de l’émotion et de la victimisation, où l’injustice et la frustration, à l’instar du risque zéro, deviennent choses insupportables, inacceptables. Revient-il à la société de réparer ces blessures quoi qu’il en coûte ? Si réduire les inégalités est un juste combat, cette démarche ne doit pourtant pas se faire sans réflexion éclairée et donc dans une certaine lenteur, à mille lieux de ce besoin d’immédiateté manifeste.

Mais qui pour oser amener de la mesure dans le débat public, alors que le risque d’être taxé de toutes les infamies et vilipendé sur la place publique se profile ? L’image médiatique et la postérité sont affaires sérieuses.


Serait-il affaire là de la nouvelle économie psychique que présente Charles Melman, dans son ouvrage « l’Homme sans gravité » ?

Notre société humaine, organisée jusqu’alors autour du désir et du refoulement aurait subi une mutation profonde. Il s’agirait désormais de l’exhibition de la jouissance - dans son acception psychanalytique où la jouissance se trouve au-delà du plaisir, dans un excès sans fin qui nous asservi. Ce « jouir à tout prix » ne connaissant plus de limites, la frustration et l’inégalité ne peuvent plus être entendues.

Ce qui doit être entendu a contrario, accepté et reconnu socialement, c’est l’expression de son désir. Chacun aspire à ce qu’il pense être le bonheur – transmuté en jouissance – et a désormais intégré qu’il serait le seul acteur de cette construction (en témoigne le succès des livres de développement personnel).

Chacun doit donc pouvoir trouver cette satisfaction dans son environnement. Melman ajoute : « Et si ce n’est pas le cas, c’est un scandale, un déficit, un dol, un dommage. Ainsi, dès que quelqu’un exprime une quelconque revendication, il est légitimement en droit – et, à défaut, la législation est rapidement modifiée – de voir sa revendication satisfaite. […] Au nom de quoi l’éconduire ? Dans la situation actuelle, dès lors qu’il y a en vous un tel type de souhait, il devient légitime, et il devient légitime qu’il trouve sa satisfaction. »


Fut un temps où l’humour provocateur, l’humour noir et cynique faisait des émules. Coluche, Desproges, Le Luron pour ne citer que ses plus illustres représentants, réapparaissent souvent dans les discours nostalgiques de ceux qui désespèrent voir le politiquement correct envahir la sphère médiatique. Tout un chacun se sent aujourd’hui choqué, dérangé, blessé, humilié, stigmatisé dans sa singularité au moindre propos perçu comme outrancier et qui viendrait attaquer ce que nous sommes. Le second degré a laissé sa place à une forme de bien-pensance, la souplesse à une forme de rigidité de l’esprit.

Si les abus ont toujours existé, et qu’il est difficile d’établir une limite claire, dénoncer ce qui relèverait d’un racisme ordinaire dans tout et n’importe quoi frise aujourd’hui le ridicule, pour ne pas dire la bêtise. Comme le disait Coluche par ailleurs: « Ce serait raciste que de penser que les étrangers n’ont pas le droit d’être cons ! ». Disney en vient par exemple à revisiter ses standards d’une autre époque (Peter Pan, les Aristochats, Dumbo…etc.), dont la lecture pourrait désormais apparaitre offensante pour certains groupes sociaux, en y joignant des messages d’avertissement.


De ce besoin de reconnaissance découle un désir d’égalitarisme illusoire - car non-opérationnel dans la relation - propre à gommer toutes les différences. Prôner sans concession l’égalité et la non-discrimination, plutôt qu’une certaine équité, revient de façon paradoxale à tout vouloir uniformiser, à nier ce qui fonde ces différences. Est-ce là la meilleure démarche pour respecter celles-ci ?

Le monde est injuste et inégalitaire par essence. Il a besoin de hiérarchie pour fonctionner. S’il demeure important de tendre vers plus de justice, rendre similaire pour éviter la frustration ou le trauma est un leurre fantasmatique. Combattre le racisme, ce n est pas ne plus voir les couleurs. C’est, bien au contraire, les prendre en considération dans ce que cette condition physique amène comme problème et souffrance, sans en faire une excuse ou un mode de défense systématique.


Mais à prendre le chemin de la vérité absolue plutôt que celui de l’humilité ; de la certitude plutôt que du doute ; du savoir plutôt que de l’apprentissage ; du bon sens commun plutôt que de la théorie ; de l’idéologie plutôt que de la pensée, n’émergent de fait que des évidences. Celles-ci ne nécessitent donc aucune élaboration, puisqu’il n y a rien à remettre en question.


Ainsi, à se vouloir dans l’inclusion totale, on ne nomme plus les choses par crainte de devenir ce que l’on dénonce. Disparaissent des écoles les cadeaux de fêtes des mères/pères jugés potentiellement blessant pour l’enfant qui serait inscrit dans un modèle familial moins normatif. A ces mêmes termes se substituent désormais sur les documents administratifs les vocables « Parent 1 » et « parent 2 », dont la numération pourrait toutefois encore prêter à débat. Il ne faudrait pas prendre le risque d’être taxé d homophobes ou de transphobes, en véhiculant l’image d’un modèle familial jugé traditionaliste et normatif, donc exclusif. Les mots perdent visiblement tout leur pouvoir symbolique, celui d’apporter du sens et de l’acceptation. Il semble désormais préférable de camoufler l’injustice, plutôt que de l’expliquer. Comme si gommer la discrimination grammaticale était une fin en soi, apte à faire disparaitre les problèmes d’exclusion sociale.


La société semble désormais chercher à s’adapter aux minorités de toutes sortes, charge à la majorité de suivre, au risque d’être taxée d intolérante. A défaut de réellement pouvoir faire évoluer les mentalités, l’évolution se joue donc d’abord (ou à la place ?) dans la question d’un langage épicène, qui vise à remplacer des termes masculins par des termes neutres.


Après le langage inclusif (ex : « personne handicapée » plutôt qu’« handicapé »), l’écriture inclusive (dont la pertinence est attaquée notamment parce qu’elle complexifie et rend les textes illisibles, qu’elle ne peut s’appliquer à l’oral et qu’elle exclue paradoxalement les personnes dyslexiques et aveugles), la féminisation des métiers (ex : autrice), le chantier se fait donc désormais sur la question du genre.

Si une éducation non genrée peut tout à fait s’entendre, la question du sexué n’ayant effectivement pas à prédéterminer nos appétences et nos futurs rôles dans la société, se définir dans une identité non-genrée (non binaire ; no gender ; gender fluid), ni homme ni femme, voir l’un ou l’autre en fonction des envies du moment, amène inexorablement certaines adaptations.


Car faire fi du genre, pour espérer sortir d’une domination masculine et patriarcale, exige des innovations, notamment linguistiques, tels que le choix d’un prénom non connoté (mixte) ou la création de pronoms personnels neutres tels que «iel», toustes » et « ceulles ». Les termes et expressions mademoiselle, nom de jeune fille, nom patronymique, nom d'épouse et nom d'époux ont ainsi été supprimés des formulaires et correspondances administratifs français en 2012, sur proposition de Roselyne Bachelot, alors ministre des solidarités.


Dans la même veine, en 2017, le logiciel Word, édité par Microsoft, a introduit la possibilité de cibler le langage discriminant qui serait à même d'exclure, de rejeter ou de stéréotyper le genre et les minorités diverses.

Très récemment, les hôpitaux universitaires de Brighton et Sussex ont procédé à des modifications linguistiques dans les maternités (pardon, services prénataux !). Ainsi, devant un public transgenre ou non binaire, les sages-femmes (du coup peut-on dire sages-hommes ?) sont invitées à remplacer l’expression « lait maternel » par « lait humain » ou « lait de poitrine ». Pour ne pas blesser les personnes dont l’identité biologique n’est pas en adéquation avec l’identité de genre, « père » et « mère » sont également remplacés par « parent » ou « personne ».


Les défenseurs du langage épicène s’appuient sur l’hypothèse Sapir-Whorf (des noms de deux anthropologues), selon laquelle la structure de la langue façonne la pensée des locuteurs de cette langue. L'utilisation du masculin comme valeur par défaut nous amènerait donc à voir le monde au travers d'un prisme masculin, ce qui est théoriquement discutable dans la mesure ou le genre d’un mot n’a aucun lien avec le sexué, puisqu’un homme peut tout à fait se voir attribuer des noms et adjectifs féminins également.


Or de nombreuses langues tels que le chinois, le japonais, le turc, le persan, le wolof, la langue des signes et encore beaucoup d’autres, ont une structuration neutre. D’autres comme l’allemand possède les genres féminin, masculin et neutre…

Ces sociétés sont-elles plus égalitaires, moins discriminantes ? Indéniablement non ! Cela semble donc relever plus de la pure démagogie, où à défaut de vraiment pouvoir faire évoluer les mœurs, on instrumentalise la langue pour faire illusion.


A ces modifications à l’étude, doit-on imaginer voir apparaître une case « sexe neutre » sur les papiers administratifs, revendiquant le droit de « ne pas être prisonnier » du sexe que nous assigne l'état civil ? La création de toilettes unisexes dans les lieux publics…etc. ? Que devrait faire un gynécologue obstétricien lors de l’échographie, lui qui ose encore assigner un genre en fonction de la présence chromosomique arbitraire d’un « y », laissant entrevoir l’appendice génital ? (à noter que j’ai masculinisé le métier pour lui appliquer sa forme neutre et je m’en excuse).


Que cette perception sexuée soit issue d’un processus psychique interne ou de toute autre raison étiologique ; que cela puisse entraîner ou non une souffrance, qualifiée alors de dysphorie de genre, cela appartient à la personne… Mais doit-on pour autant remettre en question toute une structure de société établie sur une réalité biologique, afin de permettre un éventail des possibles où chacun serait libre de se définir comme il le souhaite et au gré de ses désirs changeants ? Cela remet en question la définition même d’identité.


Bien qu’interroger les stéréotypes soit nécessaire, n’y a-t-il pas confusion dans la façon d’y parvenir? Quant à arborer ostensiblement des étiquettes identitaires, cela ne participe-t-il pas à la perpétuation de stéréotypes que ces personnes abhorrent au demeurant?


La démarche actuelle tend en effet davantage au terrorisme intellectuel, dans la mesure où est mis en avant une dialectique morale les mettant en opposition eux, « les progressistes », contre le conservatisme réac’, les féministes contre les détenteurs du phallus, le bien contre le mal, dans des considérations, finalement bel et bien binaires, quant à elles.

Charles Melman parle quant à lui d’une pensée qui prendrait de plus en plus la forme d’un « fascisme volontaire », en tant qu’il résulte d’une aspiration collective, et non d’un leader ou une doctrine, à l’établissement d’une autorité qui soulagerait de l’angoisse. « Il est devenu extrêmement difficile de faire valoir une position qui n’aille pas dans le sens de cette philosophie implicite qui veut que quiconque, quel que soit son sexe, son âge, puisse voir ses vœux accomplis, réalisés dans ce monde. Toute réflexion qui cherche à discuter cet implicite est a priori barrée, interdite. »


Pour Pierre Benghozi, pédopsychiatre et psychanalyste de son état, « il y a une difficulté à penser ces notions identitaires […], car elles sont surchargées d’affects et contaminées de références idéologiques. »


Que faire alors ? Reconnaitre l’autre dans ce qu’il dit être, sans concessions ? Ou bien faire tout du moins preuve de tolérance (oui, il y a bien une nuance capitale) ? Alors que les discours pointent l’intolérance comme le nouveau mal absolu à combattre, peut-être faudrait-il s’interroger sur cette évidence qui fait de la tolérance une vertu absolue… Car, en tout état de cause, tolérer autrui n’est pas reconnaitre ce dernier comme son alter ego, puisque cela entraine un jugement de valeur et donc une asymétrie dans la relation. Or l’égalité n’a, par définition, que faire de l’accord de l’autre.


La tolérance n’est pas compatible avec la vérité, cette dernière ne pouvant, par essence, pas faire cas de ce qui lui diffère. Il est donc ici question de reconnaissance de l’autre, de la vérité de son existence, si différente soit-elle. Mais la vérité peut-elle se penser au pluriel ? Goethe disait : « La tolérance ne devrait être qu'un état transitoire. Elle doit mener au respect. Tolérer c'est offenser. »


Ironiquement, c’est donc plutôt l'excès de tolérance dont il faudrait se méfier aujourd’hui. Systématisée, elle vient mettre la vérité et l'erreur sur le même plan, entrainant l’uniformisation de la pensée.

Quant à reconnaitre l’autre dans l’absolu, sans discernement, c’est aussi risquer d’ouvrir paradoxalement la porte au fanatisme et à l’intolérance.

Sans se perdre davantage en conjectures, la réponse est finalement loin d’être aisée.


Au même titre, dans un désir de reconnaissance identitaire, d’un passé de souffrance et de discriminations lié à l’esclavagisme et à la colonisation, nous avons pu assister, notamment après la mort tragique de Georges Floyd, il y a quelques mois de cela, à l’émergence de mouvements militants, contestataires de ce pan de l’histoire. Des statues à l’effigie de personnalités historiques ont ainsi été déboulonnées et détruites car elles symboliseraient à elles-seules une forme de célébration de ce qui leur fait insulte et violence. La statue de Colbert devant l’Assemblée Nationale a par exemple fait partie des monuments vandalisés, pour sa contribution à cet épisode peu glorieux de l’Histoire européenne.

Cette relecture politisée de l’Histoire, quand celle-ci n’est tout simplement pas méconnue ou travestie, peut-elle s’entendre raisonnablement, dans un souci de reconnaissance de l’autre, dans son identité et sa souffrance ?

La bien-pensance, dont la frontière avec la lâcheté est relativement mince, ne peut pour autant nier le caractère polysémique de l’Histoire. Si un personnage ne peut être réduit à un seul moment de sa vie, qui plus est, effacer ces éléments du passé ne permettront pas aux générations futures d’en avoir une bonne compréhension. Là encore, le passage à l’acte est privilégié, les mots ne semblant plus faire sens. L’image prime sur le discours. Pour faire un parallèle avec le refoulement, faire disparaître les traces sordides du passé plutôt que de les parler, ne permettra que de les reproduire.

Les œuvres artistiques, littéraires, cinématographiques traversent les âges et témoignent d’une autre époque. Aussi se doivent-elles d’être lues, interprétées, expliquées à la lumière d’une recontextualisation nécessaire et bienvenue.

Si les questions identitaires individuelles et collectives s’entremêlent depuis des siècles, force est de constater qu’elles prennent une ampleur considérable de nos jours, instrumentalisées politiquement dans une ferveur militante insoupçonnée. A promouvoir une reconnaissance de toutes les individualités, dans une inclusion totale et égalitaire à la société, ces démarches sans concession cristallisent les dissensions. Elles animent vigoureusement le débat social, renforçant la raison d’être de ces oppositions groupales. D’autant qu’aucune société jusqu’à présent ne s’est encore constituée sur autre chose que la distinction sexuée dichotomique homme/femme.


L’évolution des mœurs est un processus lent. L’imposer dans l’urgence et la radicalité s’avère contre-productive, la dirigeant tout droit dans une impasse de la pensée, puisque la raison s’efface devant l’émotion, érigée en fer de lance ostentatoire.

Après des siècles de philosophie, de sociologie, d’anthropologie et autres sciences humaines ; malgré tous les grands penseurs que ce monde connait, le problème reste entier.


La coexistence pacifique ne serait-elle finalement qu’une chimère qu’il faudrait admettre, sans pour autant s’y résoudre? Si tel était le cas, serait-ce toutefois un mal ? Car, dans une pure fiction où le paritarisme serait total, ne serait-ce pas finalement la mort de toute société qui y parviendrait, l’envie et le désir étant le moteur de toute entreprise humaine.

Or si c’est bien l’inégalité et donc le manque de quelque chose qui organise le désir, celui-ci apparait aujourd’hui scandaleux et ne semble plus avoir droit de cité.


Camille Hamel

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