Fiers de notre statut de pays des Lumières, nous nous targuons souvent de rappeler au monde une de nos valeurs fondamentales comme si elle était notre apanage : cette si chère liberté d’expression.
Si notre société peut se gargariser d’avoir eu d’illustres penseurs tels que Montesquieu, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, Rousseau, D'Alembert ou encore Descartes (voire plus récemment Bourdieu, Sartre ou Foucault), pour autant, sans faire offense à nos philosophes contemporains, cette idée flatteuse semblent désormais davantage relever d’une nostalgie intellectuelle que d’une réalité de l’instant.
Certes, notre liberté d’expression, bien qu’attaquée ces derniers temps par des idéologies fondamentalistes, est toujours protégée, tambours battants, et garantie dans ce qu’il reste de notre démocratie. Hormis la question du racisme qui, rappelons-le, est un délit et non une opinion, nul individu n’a à craindre pour sa liberté au regard de ce qu’il exprime publiquement. Si tant est que la garde-à-vue devient une réponse par trop récurrente à toute forme d’outrage au pouvoir en place.
Mais quel intérêt à jouir de cette liberté d’expression si débattre ne prend plus sens et que penser différemment vous met au banc des accusés, vous faisant perdre toute dignité et respectabilité ?
Le discours public tend en effet à se radicaliser, non pas dans les idées défendues mais dans la force avec laquelle elles sont assénées. S’opposent désormais deux entités irréconciliables : les adeptes de la pensée unique étatiste et les « complotistes », qui ne sont en fait qu’un autre groupe à la pensée unique. En effet, ce concept popularisé dans son usage au début des années 90 devient l‘argument « massue » de factions de tout bord, attaqué dans leurs convictions profondes. Cette astuce oratoire permet d’éviter habilement toute remise en question, en coupant court à toute réflexion issue d’un échange d’arguments raisonnés.
Penser différemment d’un « complotiste » vous fera subitement appartenir à la communauté des ovins ou des narcoleptiques, incapable de penser par vous-même, tandis qu’émettre des doutes ou des objections sur la pertinence de la pensée dominante vous rangera inévitablement du côté des adeptes de la théorie du complot. Ou tout du moins dans la catégorie non moins flatteuse des agitateurs, à même d’encourager les troubles à l’ordre public et à l’unicité de la nation.
Quant à se vouloir « électron libre » dans ce système désespérément binaire, il n’y aurait pire infamie. Il faut choisir un camp ! L’être humain, dans sa nécessité obsessionnelle d’ordre, a besoin de catégoriser, étiqueter, classifier tout ce qui se présente à lui, pour prétendument comprendre le monde qui l’entoure.
La nuance ou le doute ne paraissent plus possible dans un monde qui se pense désormais en noir et blanc, niant par là-même toute la complexité de son essence. Chaque groupe pense détenir la vérité et devoir l’imposer aux autres, dans une sorte de volonté humaniste, qui n’est pas sans rappeler le prosélytisme religieux, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui.
« Et pourtant elle tourne » aurait maintenu Galilée à son procès, face à la conviction obscurantiste du clergé, alors opposé à toute idée d’héliocentrisme. Bien que l’avenir lui ait donné raison, cet exemple est souvent utilisé comme argument pour tenter de justifier la légitimité d’une pensée à contre-courant.
Or, le problème n’est pas qu’il ait eu raison quand la majorité bien-pensante avait tort, mais que chaque partie était dans une impossibilité mutuelle à rechercher la vérité ensemble. Qu’il s’agisse des religions, des sciences physiques ou humaines, les erreurs théoriques ont toujours existées. Ce qui est vrai aujourd’hui, en l’état actuel de nos connaissances et de nos mœurs, ne le sera pas obligatoirement demain.
S’il est nécessaire de s’appuyer sur des théories et de porter des convictions pour penser et structurer les modalités de la vie humaine, l’humilité revêt un caractère tout aussi primordial. « Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien », maxime attribuée à Socrate, reste une considération intemporelle d’une sagesse inégalée.
Sauf qu’à écouter l’autre pour répondre, plutôt que pour comprendre, voilà un glissement qui appauvri inexorablement cette pensée des Lumières dont nous nous revendiquons.
Injonctions au bonheur, au positivisme, à l’innovation, à l’inclusivité, au « manger sain », à la pratique du sport…etc., ces petites tyrannies du quotidien ne souffrent d’aucun débat puisqu’elles s’appuient sur des pseudo-vérités scientifiques et des effets de mode, des tendances d’idéologies dominantes bien-pensantes. Si les injonctions changent en fonction des époques, leur caractère à priori indiscutable et dogmatique reste immuable.
Comme le soulignait pourtant André Gide : « Croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent. » Partir de ce postulat parait cependant de plus en plus compliqué. Si parler de « pensée unique » semble impropre dans la mesure où celles-ci sont finalement nombreuses, il serait davantage question de « pensée véritable ». Ce fantasme de vérité absolue, à l’instar des « saintes écritures » annihile tout débat philosophique, voire même démocratique.
Dictature, autoritarisme, tels sont les mots parfois employés pour signifier le gouvernement actuel. « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge » disait Camus.
Sauf qu’entre la proposition de loi de « sécurité globale » et l’autorisation récente donnée par le Conseil d’Etat aux policiers d’utiliser les fichiers de renseignement élargis (pouvant désormais faire mention des opinions politiques, philosophiques, religieuses et syndicales, mais aussi des identifiants, commentaires et photos postés sur les réseaux sociaux), le doute est permis. Careful ! Big Brother is watching you !
S’il peut être exagéré d’accoler ces termes au pouvoir en place, au regard de ce qui se pratique ailleurs de plus liberticide, peut-on pour autant continuer de se penser en démocratie ? Eternel débat s’il en est que l’interprétation des concepts de démocratie et de souveraineté du peuple. Le peuple n’étant pas constitué que de citoyens, son acception s’en trouve déjà fortement faussée dans sa dénomination.
En outre, bien que l’élection au suffrage universel direct soit toujours de mise, se suffit-elle à elle seule pour garantir la démocratie quand de débat démocratique il ne peut plus y avoir ?
Dans notre contexte d’urgence sanitaire prolongé, il est bon de rappeler que bon nombres de décisions gouvernementales relatives à notre quotidien, dans la restriction de nos libertés notamment, sont prises en conseil de défense et de sécurité nationale. Ces questions essentielles à notre vie ne sont plus débattues au sein de l’Assemblée Nationale et du Sénat, seuls organes pourtant réellement représentatifs du peuple français dans sa pluralité, et garants du débat démocratique.
Ainsi, il apparaît que les français se trouveraient être les plus réfractaires à la vaccination. Près de 40% seraient contre. Fichu peuple d’irréductibles Gaulois ? Une réponse assurément trop simpliste que de se cacher derrière l’idée préconçue d’une forme d’esprit de contradiction systémique à la française.
Or, est-ce le vaccin en tant que tel qui pose problème ? Ou l’indice de confiance extrêmement faible envers nos représentants, qui conditionne la défiance et la suspicion de nos concitoyens ? Entre les mensonges (pardon, les faits alternatifs !), les incohérences, les maladresses de communication et les réponses répressives fortes, cette République En Marche semble avoir d’ores et déjà perdu son pari de renouveler cette image politicienne fortement désavouée, qui l’avait pourtant conduite au pouvoir en 2017. Le fameux « dégagisme » ne serait-il qu’un leurre électoral populiste de plus ?
Depuis de nombreux mois, ce fonctionnement monarchique piétine allègrement toute forme de contrepouvoir essentiel (pour notre bien-être nous dit-on). Bien que notre liberté d’expression perdure dans la pratique, quelle valeur pouvons-nous encore lui prêter, en l’absence de dialogues constructifs, respectueux du cheminement de pensée de chacun ?
Si les qualités actuelles d’écoute du gouvernement s’apparentent à la grossière expression consistant à inviter l’interlocuteur à s’adresser à notre postérieur plutôt qu’à notre tête malade, celle de notre Etat l’est indubitablement, politiquement parlant.
Camille Hamel
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