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Le 16 juin 2021, un énième projet de loi relatif à la protection des enfants, revêtant le doux matricule n°4264, a été porté à la présidence de l’Assemblée Nationale, par Messieurs Castex, Véran et Taquet.
Si une grande partie de nos élus se félicitent de ces avancées en matière de protection des mineurs, ces nouvelles dispositions soumises au vote de nos parlementaires laissent sans doute dubitatifs nombre de travailleurs sociaux, bien trop habitués aux diverses avancées législatives en la matière restées à l’état d’effet d’annonce ces deux dernières décennies.
En préambule, nos trois représentants gouvernementaux se sont attachés à rappeler les efforts des différents législateurs et gouvernements successifs « à favoriser la synergie entre les différents acteurs » (Conseils Départementaux, services nationaux et territoriaux de l’Etat) sur cette question délicate de l’enfance en danger, au travers des deux grandes lois des 5 mars 2007 et 14 mars 2016.
A défaut d’une prise de recul un tant soit peu critique à l’égard de ces réformes passées, il semble toujours aussi bon d’user de termes pédants pour rendre le propos intelligent et donner l’illusion de la compétence et de l’action.
Ces lois avaient pour finalité de réaffirmer l’Intérêt Supérieur de l’enfant et la nécessité de la prévention à tous ses âges, d’améliorer les dispositifs d’alerte et de signalement, de diversifier les modes d’intervention auprès des mineurs et de leur famille, de mieux prendre en compte les besoins fondamentaux de l’enfant, notamment en favorisant la stabilité dans leur parcours de protection, ou bien encore d’améliorer la gouvernance nationale et locale, en renforçant les missions des Observatoires.
Ces différentes mesures ont dès lors institué une place de chef de file de la Protection de l’Enfance aux départements, substituant bon gré mal gré dans la direction des pratiques éducatives la notion de danger à celle plus subtile de l’adhésion.
Bien que les trois législateurs reconnaissent que ces lois précédemment citées « ont produit des résultats insuffisants dans la lutte contre les violences commises contre les enfants, y compris en institution, et n’ont pas pleinement répondu aux attentes de professionnels engagés », ils concluent à des causalités pour le moins discutables, arguant que les « capacités d’action sont limitées par des réglementations inadaptées » et qu’un « déficit de coordination entre les différents intervenants est enfin observé. »
Si nous ne pouvons que les rejoindre sur la nécessité de faire évoluer les lois, au regard de l’évolution des sciences humaines et des perpétuelles mutations de nos sociétés, l’aspect purement financier de leur application est donc une dimension qui échappe visiblement encore et toujours à chaque pouvoir exécutif en place.
Tout l’art de gouverner en s’appuyant sur le système D consiste donc à en appeler inlassablement aux capacités d’innovation des professionnels, voire des usagers, à défaut d’aides effectives. Serait-ce là un détournement bien pratique du fameux « pouvoir d’agir » très en vogue dans le jargon managérial actuel ?
Car force est de constater que le secteur de la Protection de l’Enfance, en dépit de toutes ses innovations, rencontre de plus en plus de difficultés à assurer ses missions de base. S’il n’est plus un secret que les situations familiales auxquelles les travailleurs sociaux sont confrontés sont de plus en plus délétères, le mal-être professionnel grandissant et l’accentuation de la précarisation des acteurs de terrain, abîmés par le manque de moyens et de reconnaissance, peinent à être entendus.
Ce nouveau projet de loi axe essentiellement ses articles sur la question du placement de l’enfant, délaissant finalement toute la partie préventive de l’assistance éducative d’une réforme supplémentaire. Quant à en déduire que c’est un problème…
Entres autres nouvelles dispositions non exhaustives, il est donc également envisagé de systématiser l’exploration par les services éducatifs habilités de la possibilité de confier le mineur à un membre de sa famille ou à un tiers digne de confiance, en cas de danger et si sa protection l’exige, avant qu’un juge prononce le placement au service départemental de l’Aide Sociale à l'Enfance. Rien de bien révolutionnaire en somme.
Un assouplissement des « conditions dans lesquelles le juge peut déléguer une partie des attributs de l’autorité parentale au gardien de l’enfant » est également considéré. Ce dernier serait ainsi autorisé « à exercer un ou plusieurs actes déterminés relevant de l’autorité parentale, sans devoir solliciter cette autorisation au cas par cas ».
Pour limiter les ruptures de parcours, l’assistant familial employé par une personne morale de droit public pourra désormais poursuivre son activité au-delà de 67 ans afin d’accompagner l’enfant qu’il accueille jusqu’à sa majorité, dans la limite de trois ans et sous certaines conditions.
A ce sujet, et au vu des premières critiques soulevées, un article additionnel a d’ailleurs été déposé au dernier moment pour contraindre les départements à trouver des solutions mettant fin à ces sorties « sèches » de l’ASE à la majorité de l’enfant, en systématisant la garantie jeune et les contrats jeunes majeurs. S’il s’agit d’une petite victoire sur le fond, nul doute que la chose ne sera pas si aisée, ni totalement en mesure de répondre aux risques inhérents à ces fins de prise en charge.
Comme annoncé par Monsieur TAQUET il y a quelques mois au détour d’une émission sulfureuse et racoleuse sur les dérives de la protection de l’enfance, le placement des mineurs en résidences hôtelières, entres autres, ne sera plus autorisé. Seuls les établissements expressément autorisés par le Code de l’Action Sociale et des Familles pourront désormais accueillir ces enfants…sauf, fallait-il s’en douter, par dérogation à titre exceptionnel, afin de répondre à l’urgence de mise à l’abri, pour une durée qui ne pourra « excéder deux mois et dans des conditions qui seront précisées par décret ».
La belle affaire… Et quelles solutions après, au regard de l’absence drastique de place dans les services habilités ? Cette interdiction ne peut donc être qu’une étape et non une finalité, telle qu’elle est présentée.
Concernant les Mineurs Non Accompagnés, à ce titre pleinement concernés par ces accueils hôteliers, cette nouvelle loi institue le recours obligatoire au fichier d’Appui à l’Evaluation de la Minorité (AEM). Alors que les tests osseux, sur lesquels s’appuie le gouvernement pour décréter la minorité, ne disposent d’aucune valeur scientifique reconnue dans la tranche d’âge 16-18 ans, ce fichage biométrique national n’est qu’une hérésie de plus, indigne de nos valeurs républicaines, qui ne manquera pas de fragiliser encore davantage la protection rapide et efficace de ces enfants, qui rappelons-le, se doit d’être universelle et non fonction de leur statut sur le territoire, eu égard à la Convention Internationale dont nous sommes signataires.
Parallèlement, et c’est appréciable, cette loi tient à renforcer la sécurité des mineurs protégés - dont l’origine et donc l’âge ne prêtent pas, quant à eux, à soupçon - en permettant un contrôle des antécédents judiciaires des professionnels et bénévoles les accompagnants, préalablement à leur prise de fonction, mais aussi au cours de leur exercice.
Du côté de la justice, en cas de situation en assistance éducative particulièrement complexe, le juge des enfants aura la possibilité de renvoyer celle-ci devant une formation collégiale, pour tout type de décisions et à tout moment de la procédure. Au regard de la saturation des tribunaux, nul doute que cette disposition, si elle s’inscrit à moyen constant, viendra au moins embellir davantage la vitrine des belles intentions réformatrices.
L’Assemblée Nationale a également voté à l’unanimité l’interdiction de séparer les fratries dans le cadre de placements… Ce qui, en dehors d'une idéologie du lien réductrice, prête plus à sourire de dépit qu’à saluer la vision de nos parlementaires, au regard des contraintes d’accueil dans l’ensemble des départements. Ceux-ci ne semblent guère se soucier du « comment ».
L’exercice politique ne serait-il donc plus qu’un simple débat d'idées dénué de tout pragmatisme ?
Car une fois toutes ces idées assurément progressistes énoncées, il ne reste comme sentiment que celui de la vacuité d’une telle opération, relevant plus d’un artifice de communication, et de l’autosatisfaction intellectuelle que d’une réelle prise en considération des axes d’amélioration indispensables à l’endroit de ce dispositif, certes coûteux, mais indispensables…
Bien que quelques dispositions, attendues de longue date pour certaines, soient effectivement à saluer, nous ne pouvons que constater la frilosité des engagements ou leur caractère utopique. Et à ce jeu-là, la France reste sans conteste la championne du monde des idées humanistes, sur le papier, la fraternité ne semblant bonne qu’à s’inscrire vainement sur le fronton des mairies !
Nul besoin en effet d’obscures commissions d’enquête et d’observatoires en tout genre qui fleurissent à chaque problème qui se pose, pour constater l’écart considérable entre les textes de lois et leur réelle transcription sur le terrain.
Si le gouvernement pouvait déjà ne serait-ce que s’assurer du respect fidèle de l’application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, édictée en 1989, sur son propre territoire - qui s’étend non accessoirement au-delà de la métropole - ce serait indubitablement une grande victoire pour nos enfants.
Ce ne sont pas de nouvelles lois promptes à inscrire un patronyme dans la postérité de la Vème république dont notre pays et notre secteur professionnel ont besoin, ni d’élus qui se gargarisent d’avoir légitimé leur fonction en brassant du vent avec des propositions qui n’engagent rien d’autre que leur simple formalisation écrite!
Mais, au risque de répéter la même rengaine désuète, la bonne mise en œuvre de ces idées ne pourra s’opérer que dans l’octroi de moyens financiers et logistiques en cohérence avec les attendus législatifs escomptés.
Il s’agit enfin, et cela va de paire, de favoriser l’attractivité du secteur social, qui se meurt par mépris des réelles compétences des professionnels qui le composent en se bornant à maintenir un niveau de salaire et de reconnaissance de niveau de diplôme en totale inadéquation avec les fonctions et responsabilités qu’ils occupent.
Camille Hamel
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