Yuriy, Alisha, Lilibelle. Des prénoms qui résonnent actuellement dans la sphère publique par le caractère insoutenable et injuste du sort qui leur a été réservé.
Harcèlement, Bagarres, règlement de compte, agressions armées, meurtres avec préméditation, les faits divers sordides semblent dernièrement se multiplier tragiquement, nous inquiétant légitimement à l’endroit de nos jeunes.
Cette surexposition médiatique invite à penser que la violence chez nos jeunes serait devenue paroxystique. Un ministre va jusqu’à parler d’« ensauvagement », comme si l’être humain était par nature pétri de bonté. Sans limites, sans autorité, sans éducation, voire même sans empathie ni culpabilité, ces « nouveaux » jeunes ignoreraient la loi et leurs conséquences. La vie n’ayant plus de valeur à leurs yeux, la réponse violente serait ainsi légitimée et banalisée.
En d’autres endroits plus officiels, cette normalisation étant également à l’œuvre pour le bien commun parait-il, il n’y a peut-être pas lieu de s’en étonner davantage.
Sont ainsi pointées, dans une certaine facilité réductrice, les carences éducatives parentales, les jeux vidéo, les réseaux sociaux, le trafic de stupéfiant, l’échec de l’Education Nationale et des services sociaux, ou que sais-je encore.
A défaut d’un coupable suffisant et acceptable, il nous faut trouver un responsable qui donne du sens à l’inacceptable… puisqu’il y a une victime à dédommager.
Alors que la situation sanitaire mondiale devrait nous pousser à nous inquiéter pour nos enfants et leur devenir, nous en arrivons à avoir peur d’eux, dans ce qu’ils seraient advenus.
C’est dans ce contexte une nouvelle fois anxiogène que la loi, politiquement instrumentalisée, poursuit ainsi son œuvre, sous couvert d’une évolution des mœurs qu’elle devrait inexorablement suivre. Introduit par la loi du 26 février 2021, ratifiant l’Ordonnance du 11 septembre 2019, un nouveau Code Pénal de la justice des mineurs devra ainsi se substituer à l’Ordonnance bien connue du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Le 30 septembre 2021, date de son entrée en vigueur, ce code marquera son glissement vers des dispositions sécuritaires et répressives toujours plus accentuées. Alors qu’un enfant délinquant est avant tout un enfant en danger, et qu’à ce titre, sa protection et la réponse éducative doivent primées.
Concourant ainsi à réclamer des lois toujours plus liberticides, cette violence du quotidien ancre nos peurs dans le réel.
Mais de quelle réalité parlons-nous ? D’une réalité factuelle sensément objective ? D’une réalité basée sur des statistiques, dont la pertinence s’avère toujours douteuse, en l’absence d’explications contextuelles ? Ou bien cette peur pourrait-elle être un effet psychogène résultant d’un phénomène d’hystérie collective assez classique ?
Car, à n’en pas douter, ce sujet brûlant de la violence juvénile revient occuper l’espace médiatique de façon chronique, à travers les décennies. C’est d’ailleurs par ces nombreux épisodes de panique politique et médiatique que Laurent Mucchielli, illustre sociologue, chercheur de longue date sur la question de la délinquance, dénonce cette fausse impression de la hausse des violences. Les données statistiques étant par définition le produit d’une construction sociale et juridique, lié au processus de criminalisation et de judiciarisation de cette délinquance, il faut prendre garde, tel un miroir aux alouettes, au leurre séduisant mais trompeur que représentent ces chiffres.
Cette sensation semble faire à chaque fois l’objet d’une sorte d’amnésie groupale, laissant à penser que nos sociétés feraient face à un nouveau « malaise dans la culture ».
En 1929, Freud, dans son œuvre du même nom, traduit pourtant l’idée que si toute civilisation se construit nécessairement sur la contrainte et le renoncement pulsionnel, l’agressivité, trait indissociable de l’être humain, la menace constamment, ne pouvant que l’amener vers son anéantissement. C’est ici qu’entrent en jeu l’instance morale qu’est le Surmoi, le refoulement et la sublimation, à même de canaliser nos instincts pulsionnels. Sauf que si comme le décrit Charles Melman depuis 20 ans, la nouvelle économie psychique s’organise désormais sur la recherche d’une satisfaction systématique, dans un « jouir à tout prix », sans contrainte frustrante, qui ne laisse que peu de place à l’(A)utre, il y a fort à parier que cette agressivité ne puisse être contenue davantage.
La violence a toujours fait partie intégrante de l’humanité, à tel point qu’il existe même un commandement suprême très ancien à cet égard : « Tu ne tueras point ! », preuve manifeste que ce problème n’est pas récent.
Quant à la question des jeunes, puisque ce sont eux que l’on incrimine de plus en plus, qu’en est-il vraiment ?
« Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, méprisent l’autorité et bavardent au lieu de travailler. Ils ne se lèvent plus lorsqu’un adulte pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contredisent leurs parents, plastronnent en société, se hâte à table d’engloutir des desserts, croisent les jambes et tyrannisent leurs maîtres. Nos jeunes […] ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans. »
Voilà un discours bien incisif à l’encontre de la jeunesse, empreint de modernité, à cela près qu’il est tiré de « La République » de Platon, dans une retranscription de propos attribués à Socrate (470-399 av. J.C).
Dans le même esprit, nous pourrions citer tant d’autres exemples tels que :
« Cette jeunesse est pourrie depuis le fond du cœur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme la jeunesse d’autrefois. Ceux d’aujourd’hui ne seront pas capables de maintenir notre culture. » (Inscriptions sur une poterie retrouvée dans les ruines de Babylone – 300 avant J.C.)
« Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, tout simplement terrible. » (Hésiode, poète grec – 720 avant J.C.)
Force est de constater que les critiques à l’endroit de cette jeunesse tiennent finalement lieu de poncif, de lieu commun. Probablement est-il plus aisé et rassurant au regard de notre déclin inéluctable, de fantasmer nostalgiquement sur ce qu’était notre propre jeunesse, étant bien incapables de comprendre et de nous adapter aux évolutions sociétales constantes.
Si les jeunes sont donc tout aussi mal perçus au gré des périodes, reste la question de l’hypothétique accentuation de leur violence. S’il semble difficile de répondre avec affirmation, je dirais que cette violence a surtout évolué, à la fois dans sa forme, dans sa fréquence, et dans sa représentation publique.
La violence entre jeunes s’organise de plus en plus, de mieux en mieux, sous formes d’expéditions punitives, grâce à une interactivité plus efficiente des participants, par le biais d’internet. La volonté ne semble pas tant d’en découdre, que d’annihiler l’autre, dans une sorte de déréalisation et de déculpabilisation groupale, permettant les pires exactions. Toutefois, les phénomènes de bande existent depuis longtemps (Apaches - 1900, Blousons noirs – années 50/60, Skinheads et Punks – années 80/90, Zoulous – années 90 …) et leurs membres n’étaient pas plus doux. Ces guérillas urbaines inquiètent le « Tout-Paris » à chaque décennie. Le point commun propre à ces bandes organisées est ce désir de faire bloc dans une société qui les rejette, de se regrouper autour d’une pensée forte et d’agir afin de se sentir exister.
En cela, les « traders » font aussi office de bande. Un fonctionnement de gang, où l’illégalité n’existe que si tu te fais prendre, et où la violence est plus socialement acceptable - car discrète, mais pas moins destructrice. Seuls le « dress code », les armes et les victimes diffèrent. De même que leur représentation dans les médias.
Le cyber-harcèlement – qui n’est pas non plus exclusif aux jeunes - permet de maintenir cette violence sans discontinuité, ne permettant plus aucun refuge à la victime, poursuivie jusque dans sa sphère la plus privée. Non seulement, ces agressions ne s’arrêtent plus aux portes, mais l’humiliation qui en découle se répand inexorablement, n’offrant alors plus d’espaces saufs pour la dignité.
De plus, notre capacité technique à filmer et à diffuser sans restriction ces expressions de violence, provoque un effet de sidération. Cette violence n’est plus élaborée dans une forme de recul salvateur. Elle est dorénavant montrée, exposée, sans aucun filtre.
Des chaines d’information en continu, aux réseaux sociaux, en passant par les plateformes permettant le streaming en direct, nul n’échappe plus à cette exhibition de violence, qui ne relève plus du fictionnel. Nous ne sommes plus préservés de cette réalité cruelle du monde. Si notre capacité à l’horreur et au morbide n’est certes pas inconnue, la mise à distance émotionnelle nous était toutefois encore possible, par des facteurs de distance géographique, de temporalité, de contexte géopolitique. Toutes ces barrières sont désormais levées grâce à l’immédiateté cru de l’information.
Évoluant d’une société du langage vers une société iconique, où la communication se fait désormais par l’image quasi instantanée, l’émotion ne peut en effet que se substituer à la raison. Cette peur nous envahit et réveille nos instincts primaires de préservation de l’espèce. Cette violence nouvelle, en plus d’être abrupte, insoutenable, s’immisce symboliquement dans notre vie quotidienne. Par un effet de transposition possible, nous pouvons plus aisément nous identifier à ces victimes, martyrs de cette société libérale décadente, portées aux nues par les médias.
Le projecteur braqué sur ces quelques faits divers, aussi graves soient-ils, nous poussent systématiquement à la surréaction et à une immédiateté des réponses, dans l’espoir utopique d’apaiser nos angoisses.
Comment lutter contre cette délinquance qui a toujours existé, en ne se focalisant plus que sur la réparation, et non sur la prévention ? Comment circonscrire cette violence si nous ne faisons qu’y répondre par une violence plus institutionnalisée, là où un réel travail sur les causes de la délinquance serait bien plus pertinent ? Cette approche nécessite un travail de fond, et par extension du temps et de l’argent…Pas très compatible avec une société du paraitre et du plaisir immédiat, j’en conviens.
Mais quand une personne est souffrante, s’agit-il de guérir le symptôme ou la maladie elle-même ? Il en va de même pour la société.
Cette logique imparable ne semble toutefois plus être prise en considération par nos instances dirigeantes, qui s’évertuent à amoindrir depuis plus de dix ans les services œuvrant pour la prévention, par souci d’économie substantielle. Alors que le libéralisme économique détruit le lien social, ce travail indispensable de restauration doit être encore et toujours plus défendu par nos associations, au risque de ne plus pouvoir agir sur cette ghettoïsation marginalisante, qui ne fait qu’accroître la misère sociale et les phénomènes de délinquance.
Ironie du sort, le journal « Le Parisien » annonçait le 16 mars, une mobilisation générale du gouvernement contre les rixes entre jeunes. Un déploiement de 600 médiateurs et éducateurs d’ici l’automne, sur 45 quartiers sensibles, pour « reconnecter les jeunes à la société », à travers des actions ciblées. Un « bataillon de prévention », financé à hauteur de 26 millions d’euros sur…deux ans.
Vu le champ lexical adopté et le court délai d’intervention, il y a à craindre que cette initiative réactionnelle urgente, pensée philosophiquement comme une opération commando, une frappe militaire chirurgicale, soit d’ores et déjà vouée à l’échec.
Deux ans… c’est tout juste le temps minimal pour qu’un service de Prévention Spécialisée nouvellement implanté, commence à observer les fruits de son travail, la confiance avec la population locale ne se décrétant pas dans l’imposition d’une présence, d’autant plus vu le durcissement du conflit entre les jeunes et les institutions.
Cette hausse de la violence chez les jeunes n’est finalement que relative à une hausse de la violence globale dans la société, perceptible chez tout un chacun, sans distinction d’âge ou de classe. Ce monde va probablement plus mal, mais il n’est en rien l’apanage des nouvelles générations. Le problème est bien plus profond et généralisé, mais le reconnaitre nous contraindrait à revoir le paradigme sur lequel se fondent nos sociétés consuméristes.
Camille Hamel
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